Vivre, comme avant?

   
La France est en guerre ! L’Europe est aux abois ! La Belgique est montrée du doigt ! Daesh est passée par là ! Les médias ne parlent que de cela depuis les attentats de Paris. Pour en souligner la barbarie sauvage qui saccage, tue, terrorise. Barbarie aveugle lorsqu’elle frappe, au hasard, terrasses de brasseries et restaurants. Mais ciblée lorsqu’elle s’attaque à des lieux de rencontre, festifs, comme un stade de football, une salle de spectacle.

    Radios, télévisions, réseaux sociaux accueillent spécialistes, politiques, stratèges, témoins ; réactions épidermiques, amalgames, réflexions sensées s’y côtoient, pêle-mêle. On y explique, discute, disserte, suppute, imagine, devine, croit savoir... dans toutes les directions, dans toutes les langues. On chicane sur les mots : est-on ou n’est-on pas en guerre ? On oppose libertés individuelles et mesures générales qui protègeront mieux - on l’espère - l’ensemble de la population. On se divise sur les réactions à avoir, politiques - et déjà politiciennes -, stratégiques, militaires, humanitaires. On recherche les causes, les (ir)responsables, les coupables d’un tel déchaînement de barbarie, certains accusant déjà l’autre de ne pas faire et/ou de n’avoir pas fait ce qu’il fallait lorsqu’il était au pouvoir...

    Et pendant ce temps là, des gens, pères, mères, conjoints, compagnons, frères, soeurs, proches, amis... pleurent des larmes de sang. La tragédie nationale, internationale est leur tragédie à eux, personnelle et familiale, tout simplement, loin des médias. Loin aussi des « on est tous Paris », ils sont seuls plongés dans leur douleur. Face à eux, à l’indicible, à l’insupportable, comme il peut sembler ridicule, absurde, abjecte, insensible, comme il peut sonner creux, loin de la réalité, le message fort mis en avant par les « officiels » et ceux qui, par chance, s’en sont bien sorti : « Il ne faut pas avoir peur ! Il faut vivre comme avant ! Céder à la peur, ne plus vivre comme avant, ce serait la victoire espérée, le but visé des extrémistes islamistes. » Ne pas avoir peur ? C’est vite dit ! Comment ne pas avoir peur si l’on imagine qu’un être cher peut, à tout moment et n’importe où, perdre la vie, victime de la folie meurtrière de hors la loi sans scrupule. Et puis, vivre comme avant ? Est-ce possible ? Peut-être ceux qui n’ont pas été touchés dans leur chair, leurs affections et dont la commisération émotionnelle pâlira au fil du temps. Mais, pour celles et ceux qui ont, par exemple, perdu un enfant, comment vivre comme avant ? C’est ce qu’évoque le texte d’une chanson composée un soir de deuil, en pensant à des amis qui venaient de perdre leur fils dans des circonstances dramatiques.

Comme avant ? (Chanson)

Leur enfant s’en est allé
Bien trop tôt, avant eux, c’est injuste !
Et leur vie s’est comme fanée,
L’absence et la douleur s’y incrustent…
Faut pourtant  que la vie recommence,
Comme avant ? Impossible, pas comme avant,
Car il n’y a plus de semence
De la vie comme elle était avant.

Il leur faut de nouveau sourire
Faire la fête sans penser le trahir
Ré-ouvrir l’album aux souvenirs
Tourner les pages sans trop souffrir…
Comme on dit, la vie recommence,
Comme avant ? Pas vraiment comme avant,
Elle n’a plus la chaleur intense
De la vie comme elle était avant.

Qu’il est loin le bout de la nuit
Vers lequel ils marchent peu à peu ;
Paraît que le soleil y luit
Dans un ciel qui parfois est tout bleu…
Lentement, leur vie recommence,
Comme avant ? On dirait comme avant ;
Mais ce n’est qu’une fausse apparence   
Leur vie ne sera plus jamais comme avant.
                B.H.

    Après pareilles tragédies personnelles, continuer à vivre ? Sans doute ! Regarder vers l’avant ? Certes ! Mais vaille que vaille, avec courage, dignité et l’aide des proches et amis, pour adoucir des douleurs irréparables, pour supporter des amours en deuil, pour tenter de recoller des destins brisés... Mais, comme avant, impossible ! Jamais !

  

Bruno
Carte blanche dans l'Echo   19.11.2015

Membre du comité de soutien de Stand Up of Europe