Vieillir paisiblement
à la campagne ?
Du rêve à la
réalité, l’écart est parfois douloureux !
Qui n’a pas souhaité un jour terminer sa vie sereinement, au
calme, à la campagne, en bonne santé, entouré de
gens paisibles, loin de tout souci matériel ? Mais, si pour
certains le rêve se réalise, pour d’autres,
malheureusement, la vieillesse ne s’apparente pas au long fleuve
tranquille espéré.
Voisinage
Voulant se rapprocher de leurs enfants installés dans notre
région, Lucienne et Léon achètent une petite
maison dans un village de l’entité. Un confort simple de
personnes qui ne demandent qu’à vivre tranquillement, un jardin
où se dressent quelques grands arbres, la voix du vent qui
se mêle au chant des oiseaux et de la rivière toute
proche, une fenêtre donnant sur des prés où vaches,
moutons et chevaux animent le paysage, un voisinage accueillant, une
intégration progressive basée sur le respect des us et
coutumes de l’endroit. Et tout cela à proximité de leurs
petits-enfants. Le bonheur, quoi !
Pourtant, tout bascule lorsque, peu après son épouse,
leur voisin immédiat décède. Sa maison,
située à quelques dizaines de mètres du logis des
deux pensionnés, est rachetée par de nouveaux arrivants.
Ces derniers se révèlent rapidement être ce qu’on
appelle au village « des Bruxellois », autrement
dit « des étrangers » qui ne
viennent pas toujours de bien loin mais s’installent au village sans
souci de s’y intégrer. Convaincus de leur
supériorité financière et intellectuelle par
rapport aux « indigènes », ces
« paysans » illettrés et
« bouseux » provinciaux, ils n’ont rien à
faire des règles élémentaires et tacites d’une vie
en bon voisinage. De plus, le chant matinal des coqs, la boue sur les
chemins au temps des betteraves, l’odeur du fumier, le meuglement des
vaches attendant la traite, tout les exaspère. Pis encore, ils
s’ingénient à rendre la vie impossible à leurs
voisins : feuilles tombant des arbres du jardin, odeurs de
barbecue, une ancienne porte, pourtant condamnée, dans une
clôture mitoyenne mais qui les dérange… tout est
argument pour harceler Lucienne et Léon qui se demandent ce qui
leur arrive.
Depuis, Léon est tombé malade, Lucienne a pris dix ans en
quelques mois : leur vie se réduit à une question
lancinante : « Que vont-on encore inventer pour nous
ennuyer aujourd’hui ? ». Stressante fin de vie pour ce
couple victime de bien tristes personnages ! Qui a parlé de
vieillesse paisible à la campagne ?
Justice
Après avoir passé sa vie loin de sa région natale
pour raisons professionnelles, André, veuf depuis quelques
années, est revenu au pays. Lui aussi s’est offert, avec ses
économies, une petite maison dans la ville provinciale de son
enfance.
Il retape son logis et confie la réalisation d’une terrasse
à une entreprise. C’est là que ses soucis commencent.
L’entrepreneur refuse de réaliser une partie du plan qui a
pourtant fait l’objet d’un accord en bonne et due forme. Alors,
André n’accepte pas de réceptionner le travail et de
payer les 50% de la facture restant dus. Mis en demeure par
l’entrepreneur de payer le solde et un supplément de 1.250 €
avant que les travaux soient achevés, André ne
cède pas au chantage. Un expert judiciaire est
désigné : il constate que le plan n’a pas
été réalisé complètement et que des
fautes graves font de l’ouvrage effectué un travail de
médiocre qualité. André s’attend donc à un
jugement favorable.
Or, le tribunal estime que notre brave pensionné doit payer
l’entrepreneur qu’il dégage de toute obligation vis-à-vis
d’André. De plus, le tribunal « oublie »
que ce dernier a déjà payé 50% de la facture et
majore le total d’intérêts de retard. En appel, les choses
ne s’arrangent pas pour André : le tribunal, d’une part,
estime que l’expert a bien rempli sa mission mais, d’autre part, ne
relève aucune faute de l’entrepreneur. Donc c’est le plaignant
qui a tous les torts !!! Contradiction incompréhensible qui
fait se poser à André des questions sur le sérieux
et l’honnêteté de la justice. Aujourd’hui, il se demande
encore comment sortir de cet imbroglio coûteux ! Qui a
parlé de vieillesse paisible à la campagne ?
Déracinés
Nés au village, Jules et Malou ont vécu toute leur vie
dans la maison dont ils ont hérité à la mort des
parents de Jules. Une vie de labeur, où le confort se
développe au prix de sacrifices répétés et
d’heures supplémentaires. C’est qu’ils ne rechignent jamais
à la tâche pour vivre honorablement et élever leurs
enfants à qui ils permettent de faire des études
supérieures. Une vie dure, certes, mais au rythme de la campagne
avec, surtout, trésor inestimable, une alimentation saine :
un porc et de la volaille élevés sainement, à
l’ancienne, du beurre et du lait de la ferme voisine, des pommes de
terre et légumes du potager, des fruit du petit verger, du pain
fait maison, l’eau de la source… constituent l’essentiel de leur menu
quotidien. Certes, à la retraite, la surface du potager diminue
mais Jules et Malou mangent toujours avec le même plaisir leurs
radis, tomates, salades, endives, oignons, haricots et autres patates…
Au fil du temps, notre couple voit le village se transformer peu
à peu : les petits magasins d’appoint disparaissent, la
ligne de bus change de parcours, l’église et l’école
ferment, de nouveaux quartiers grignotent leur campagne… Jules et
Malou, eux aussi, se sentent changer, supportant de plus en plus
difficilement le poids des ans et les ennuis de santé qui les
accompagnent. Impossible, désormais, pour Malou de se rendre
à vélo jusqu’à la petite ville voisine.
D’importants problèmes de la vue empêchent
également Jules de conduire leur petite voiture qu’il
cède finalement à leur petite-fille.
Vu leur incapacité progressive à conserver une totale
autonomie au village, notre couple, suivant les conseils de ses enfants
et amis, vend sa maison et achète un petit appartement dans le
centre de Hannut : pas trop loin d’une grande surface, d’un
marchand de journaux, d’un médecin et d’un pharmacien. Et
là, eux qui, il y a peu encore, profitaient d’un jardin
campagnard, « prennent l’air » quotidiennement,
bras dessus bras dessous, dans les gaz d’échappement de la
circulation automobile. « Comment ça va ? Alors,
on s’habitue à l’appartement ? » Et si la
réponse est toujours pudiquement positive, l’on sent dans leur
regard le regret profond et la peine muette d’avoir été
obligés de quitter leur village et leur maison pour
connaître l’isolement en ville. A contre cœur, Jules et Malou
sont devenus un couple de déracinés occupés
à dépérir à 2 km de « chez
eux » !
Puis, subitement, on ne les voit plus : c’est que Jules est
contraint de placer sa Malou dans une institution
spécialisée : elle « perd la
tête » et il n’est plus capable de la soigner à
domicile. Alors, chaque jour, il va la voir, en bus ; et sa
fidélité obstinée dure de longs mois,
jusqu’à ce que Malou termine sa vie sans le reconnaître..
Aujourd’hui, on rencontre encore parfois Jules, quand ses rhumatismes
et sa bronchite chronique le lui permettent ; il promène sa
solitude comme une âme en peine, les deux mains nouées
dans le dos, la tête penchée vers le sol, semblant ne plus
attendre qu’une chose, rejoindre sa Malou ; d’autant plus que la
rue calme où sa femme et lui avaient choisi de s’installer est
devenue un lieu de passage obligé et fréquenté
suite au nouveau plan de circulation dans la ville ! Qui a
parlé de vieillesse paisible à la campagne ?
Bruno Heureux.
|