Notre terre,
notre patrimoine.
Pour
ce dimanche, la météo est pessimiste :
« Ciel très
nuageux à couvert, distillant
régulièrement des averses
parfois orageuses. » Futé comme un bison
célèbre,
mon voisin résume la situation à sa
façon : « Pluie
avec menace d'éclaircies !!!» Et d'ajouter : «Tu
ne
verras personne à ta promenade ! »
Un
grand bol d'air et d' eau
Pourtant,
peu après, venus des régions de Saint-Trond et de
Namur,
une douzaine de courageux s'équipent au départ de
la balade
: bottes, parapluies et vestes imperméables constituent le
parfait
arsenal du randonneur professionnel. A quelques pas d'eux, la
septantaine
blanchissante sous une casquette qui en a vu d'autres, un petit
monsieur,
sec comme un pied de vigne, le visage buriné par une vie de
travail
au grand air, attend ses compagnons de route ; aux rares mots qu'il
prononce,
on devine qu'il est du coin, son accent le trahit... Enfin
prêt,
le groupe entame le parcours méticuleusement
balisé par les
organisateurs. Ni le vent de face, ni la pluie
pénétrante,
ni les bourrasques rabattant les capuchons ne parviennent à
décourager
les promeneurs qui découvrent le village puis les chemins
gras,
larges sillons au coeur de la campagne.
Le
vieux monsieur
Après
une bonne heure de marche, alors que les éléments
se déchaînent
de plus en plus, la petite troupe trouve refuge sous un bosquet et
laisse
passer le gros d'une averse plus agressive que les autres. Le vieux
monsieur,
lui, reste sur le chemin, défiant les
éléments ; il
scrute l'horizon, reconnaissant au passage les clochers des
églises
de villages calfeutrés au creux des rares vallées
qui creusent
le plateau hesbignon.
Son
inspection terminée, il rejoint ses compagnons qu'il
interpelle
: «Regardez ces terres, ces cultures et ces
prés, à
perte de vue : ils donnent une certaine image de l'infini et un
sentiment
profond de liberté. Pourtant, cette campagne à la
générosité
unique en notre pays et cette glèbe pulpeuse qui a toujours
donné
des récoltes et des moissons abondantes sont en danger.
Jadis, le
paysage immense que vous découvrez était
sillonné
de chemins de campagne et de fossés aujourd'hui
labourés
et comblés ; les haies entourant les prés et
bordant les
sentiers ont été arrachées; les
bosquets comme celui
qui nous abrite sont les rescapés d'une campagne
d'extermination
systématique pour agrandir les surfaces cultivables ; les
nappes
phréatiques et donc les sources naturelles contiennent de
tels taux
de nitrates qu'elles sont parfois devenues impropres à la
consommation
; de nombreuses espèces d'insectes, d'oiseaux et de petits
animaux
ont disparu alors qu'elles jouaient un rôle
déterminant dans
l'équilibre du biotope; plus rien n'arrête
l'écoulement
des eaux et des boues lors des grands orages, plus rien ne freine les
vents
lorsqu'ils se déchaînent ; là
où le cheval et
un soc unique retournaient la couche superficielle de la terre, des
charrues,
aux dents géantes, tractées par des monstres de
plus en plus
puissants et lourds, déchirent en profondeur la structure
même
d'un sol qui n'a que son silence à opposer aux agressions
qu'il
subit.. Regardez cette terre : aujourd'hui, le ciel pleure sur son
triste
sort !»
Etonné
de cette sortie assénée avec une rage contenue et
une tristesse
palpable, le groupe reste silencieux. Puis, alors qu'une
éclaircie
fait sa trouée dans la grisaille, chacun s'ébroue
et reprend
la route, pressé d'en terminer avec une balade qui
mériterait
d'être refaite sous le soleil d'un mois de septembre plus
clément.
Notre
terre, notre patrimoine
Tout
en regagnant le village, les paroles du monsieur à la
casquette
se bousculent dans ma tête; elles expriment, en termes
simples mais
non dépourvus de poésie et de nostalgie, l'amour
d'un enfant
du pays pour le coin de campagne qui l'a vu naître, grandir,
vivre
et vieillir au rythme lent des saisons. Et, alors que la pluie reprend
de plus belle, le refrain d'une superbe chanson de Jean-Michel Caradec
me monte aux lèvres : «Qu'elle est belle, ma
Bretagne, quand
elle pleut!» C'est vrai que ma
Hesbaye, elle aussi, est
belle, même
sous la drache. Mais protégeons-nous assez ce qui
en a fait
la renommée, sa terre fertile ? Celle-ci n'est-elle pas le
premier
joyau de notre patrimoine régional, qui mérite le
respect,
autant que les pierres séculaires et les oeuvres artistiques
du
temps passé ? ... Mais, à part le vieux monsieur,
mes autres
compagnons de route partagent-ils cette conviction, sont-ils conscients
du problème ? Objectivement, j'en doute... Dommage! Vraiment
dommage
!
Bruno
Heureux
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