De la dignité, s.v.p !
Réveillons-nous, osons la révolte !


Non, ceci n’est pas un appel à l’insurrection, mais tout simplement une incitation à une plus grande  prise de conscience et de responsabilités au cœur de notre époque et de notre monde.
 
La dignité
Une conviction profonde m’habite plus que jamais: « La dignité des homme et des peuples se mesure à leur capacité à se révolter. » Et là, avouons-le, nous sommes en manque flagrant. Habitudes de consommation effrénée, langue de bois, politiquement correct, compromissions, désir de paraître, bonne conscience humanitaire… ont épuisé nos défenses immunitaires contre l’injustice sociale, le lavage de cerveau, l’égoïsme, l’arrivisme, le manque de respect des plus faibles, le rejet de l’étranger et la peur de ce qui ne nous ressemble pas, la perte de spiritualité et d’humanisme, un matérialisme à tout crin… «  Moi d’abord ! » et « Surtout, pas d’ennui ! » sont des devises de plus en plus répandues. Certes, tous ne sont pas atteints au même degré de ces maux pernicieux mais peu y échappent. Osons réagir !

Poète
J’entends déjà les traditionnelles réparties lorsque je m’exprime ainsi. « C’est un poète ! » avec l’air de dire « C’est un pauvre type, un peu fêlé ! ». Eh bien, oui, j’assume et en suis fier ! Comme si les poètes ne pouvaient se révolter, étaient incapables de dire des choses sensées, de secouer l’inertie ambiante par des propos jugés choquants ou outranciers parce que trop vrais. Je cite, une fois encore, Félix Leclerc, mon maître en chanson, en sagesse et aussi en révolte : « Il remplit bien son rôle, le poète, lorsqu’il dérange »*. Mes écrits dérangent parfois, surtout ceux qui nous gouvernent et nous anesthésient. Tant pis pour eux ou, plutôt, tant mieux ! Car si l’humble artisan des mots que je suis avait contribué à secouer ces « chefs, partout, qui s’occupent pas de nous »**, et à réveiller la dignité, le respect de soi, l’audace de la révolte en chacun de nous, il aurait, modestement, fait œuvre utile.

Idéaliste
« C’est un idéaliste, un doux rêveur ! » Quoi, avoir un idéal et rêver seraient-il devenu des tares ? Au nom du pragmatisme, ne pourrait-on plus viser un peu plus haut que des intérêts personnels, bassement matériels, immédiats ?  Incapables de le comprendre, certains me disent : «Impossible de discuter sérieusement avec toi, tu rêves ! ». Ecoutons alors le même Félix Leclerc : « Ils ne se parlent pas : normal, l’un rampe, l’autre vole. »* Dans un monde où trop de gens rampent par appât du gain et soif du pouvoir, par servilité et facilité, par lassitude, manque de forces et de moyens, parce que d’autres les asservissent et écrasent, moi, j’ai choisi de voler, contre le vent souvent, mais avec une formidable sensation de liberté ! Et quel bonheur lorsque d’autres se joignent à moi pour oser prendre de la hauteur.
Journaliste
« Pour qui se prend-il, ce petit journaliste ? » s’indignent les détenteurs d’un pouvoir quelconque qui en (ab)usent non pour servir mais pour se servir. Hé bien, s’ils se sentent « rogneux, qu’ils se grattent ! Peu importe où s’exerce la presse et son rayonnement géographique, là où elle vit et s’exprime librement, la démocratie est en de bonnes mains, peut-être meilleures que celles de certains de nos gouvernants. Le « petit » journaliste est alors la plume de cette majorité trop silencieuse qui voudrait dire et écrire mais ne sait pas, n’ose pas, subit et se réjouit de voir quelqu’un dire et se révolter à sa place ; « C’est exactement ce que je pense ; merci de le dire pour moi. »  C’est encourageant, mais se serait encore mieux si plus de gens « ordinaires »osaient la révolte.

Liberté d’expression
Dans le numéro spécial du Soir à l’occasion de ses 120 ans, Guy Haarscher, philosophe à la renommée internationale et professeur d’université à Bruxelles, signait un éditorial interpellant : «… On pense souvent que les excès de la liberté d’expression constituent un danger… Mais, en vérité, un danger plus grave menace les démocraties : ne pas en dire trop, mais en dire trop peu, même si l’on en pense pas moins, pour ne pas avoir d’ennuis... » Stigmatisant le silence de confort et complice d’excès commis par ceux qui profitent de ce silence et de l’absence de réaction pour poursuivre magouilles et méfaits, cette mise en garde s’adresse, bien sûr, aux journalistes mais aussi à tout un chacun.
A force de nous taire et de laisser faire, nous nous ankylosons au point d’être incapables d’analyse et de critique lucides, de réactions justifiées, de révoltes salutaires. Nous laissons alors pérorer, gesticuler et manœuvrer, « en notre nom ( !!!) », des gouvernants impuissants à donner de vraies solutions à nos problèmes : de faire régner plus de justice, plus d’égalité et de respect entre le Nord et le Sud de la planète, entre l’Europe et l’Afrique, entre Flamands, Bruxellois, Germanophones et Wallons, entre Hannutois et villageois de l’entité… ; nous subissons des (in)décideurs qui ne savent pas choisir entre aller sur le Lune et donner à manger à toute la planète, entre acheter des armes et développer le commerce équitable, entre produire en polluant et investir dans le développement durable et les énergies renouvelables, entre devenir scandaleusement riche et investir à fond dans la recherche sur le sida.…

Réveil
Alors, réveillons-nous et osons la révolte : contre ces partis qui ont l’outrecuidance de nous imposer une taxe sur un produit qui n’existe pas encore ; contre ces chefs qui, par ambition personnelle, contribuent à la division de notre pays et de ses habitants ; contre ces dirigeants qui refusent d’assumer leurs engagements et font payer par l’ensemble de la communauté des erreurs de gestion ; contre ces partis qui promettent tout et n’importe quoi sans avoir les moyens de tenir leurs promesses ; contre ceux qui, au nom du profit à n’importe quel prix, creusent un fossé grandissant entre quelques riches privilégiés et la masse du « bon peuple » appauvri ; contre ceux qui dénaturent nos villages… nous pouvons trouver mille raisons d’oser la révolte.
Révolte justifiée contre un système perverti par et au service de quelques affamés du pouvoir. Révolte indispensable pour permettre aux responsables politiques, économiques et sociaux honnêtes, car il y en a encore, heureusement, d’œuvrer dans un contexte épuré vraiment au service de leurs concitoyens. Mais aussi, révolte contre nous-mêmes, nos a priori, nos égoïsmes. Osons remplacer nos habitudes d’assistés et de consommateurs aveugles par celles d’acteurs responsables ; osons fermer la télé pour passer une soirée avec des voisins, partager un repas de fête avec une personne seule, aider des étrangers à s’intégrer chez nous… Là aussi, le quotidien nous donne de multiples occasions d’oser !
Osons, ensemble, la révolte du cœur, honnête, juste et généreuse. C’est le vœu le plus cher que je nous adresse en même temps que celui d’une santé et de revenus qui nous permettent d’engager de tels combats indispensables au rétablissement d’une société plus juste et plus humaniste.

Bruno Heureux.


*    Le calepin d’un flâneur, Félix Leclerc, Bibliothèque Québécoise.Fides 1961
**  Tiré de Un an déjà, texte extrait de l’album « Mon fils », Polygram Philips 1989.