Salut et merci, l’artiste ! 
Le dernier voyage de Gérard MATHIEU…

 « Quand il est mort le poète, tous ses amis pleuraient… »  chantait Gilbert Bécaud, il y a quelques années. Mardi dernier, en l’église de Bertrée, les amis de Gérard Mathieu étaient réunis autour de Françoise, sa compagne, pour dire un ultime au revoir à un homme emporté, bien trop tôt, par une maladie fulgurante… Permettez-moi d’évoquer sa personnalité riche et complexe.
 Oui, Gérard était un poète, à sa façon… Là où certains utilisent leur plume et les mots pour créer des images, lui, posait son regard et celui de ses objectifs sur des paysages, des situations, des personnes, pour parer d’éternité des moments de fragilité fugace, pour donner vie à des regards échangés ou à des sites d’une beauté indescriptible.

 Poète, certes, mais aussi grand professionnel, amoureux de son métier jusque dans le détail, reconnu par ses pairs, non seulement en Belgique mais aussi à l’étranger, notamment en France, aux USA, en Australie, au Japon, en Chine… Sa collaboration avec le Sélection Reader Digest, avec Getty, la plus grande banque de photos au monde, avec nombre d’organismes nationaux et internationaux, avec des revues d’art et des musées connus à travers le monde, son rôle en tant qu’éditeur… témoignent à suffisance de cette excellence.

 Humaniste aussi. C’était toujours un plaisir de discuter avec Gérard, d’actualité, de problèmes du monde, d’art, d’éthique, de politique, de philosophie … C’est ainsi que notre dernière conversation, peu avant son décès, nous avait menés du rire chaleureux au paradoxe des religions qui devraient unir les hommes et qui, malheureusement, sont souvent à l’origine de guerres impitoyables. Et cela peinait l’humaniste tolérant qu’il était… Humaniste dans la pensée, humaniste dans la culture, dans le goût de l’histoire et du beau. C’est d’ailleurs à la galerie d’art de Hannut que nous nous étions rencontrés. Françoise et lui y étaient des fidèles des expositions, n’hésitant pas à embellir leur maison de Bertrée, d’œuvres d’artistes souvent peu connus mais à qui ils reconnaissaient le talent de les émouvoir, de les faire vibrer.

 Gérard était également un homme à l’écoute des autres et prêt à les aider. C’est ainsi qu’il savait mettre ses talents au service de causes apparemment modestes, avec la même disponibilité, la même patience, le même soin que ceux qu’il apportait à des projets importants. Cette qualité, j’ai eu la chance de l’apprécier en préparant avec lui un recueil poétique qu’il m’a fait l’amitié d’illustrer de photos superbes qui ont contribué à donner une valeur ajoutée à cet ouvrage… L’artiste qu’il était m’avait vraiment compris, moi l’artisan, et avait su exprimer mes poèmes et sentiments avec une justesse étonnante et complice. Ce faisant, il s’était transformé en réalisateur de rêve, en semeur de bonheur.

 J’aimerais encore évoquer la finesse émotive et la discrétion de Gérard. Ses photos témoignaient d’une grande sensibilité qu’il cachait pourtant pudiquement. Il était comme cela, un homme avec sa fragilité, ses secrets, ses fêlures, ses souffrances, un arbre avec son écorce rugueuse, ses nœuds, ses branches cassées, mais qui, sans jamais se plaindre, résistait aux vents et tempêtes du temps qui passe. Et toujours, chez Gérard, la sève de la vie se montrait plus forte, généreuse en œuvres d’art et en moments d’amitié… toujours… jusqu’à ce que la maladie… 
 
 Son métier l’avait conduit à découvrir les réalités et les habitants de plus de 60 pays de notre terre des hommes ; il en avait rapporté des milliers de photos, des centaines d’anecdotes, des dizaines d’histoires de rencontres enrichissantes par delà les barrières de langues, de races, de coutumes. Et si l’on éprouvait toujours du plaisir à l’écouter les évoquer, Gérard n’aimait ni fanfaronner, ni étaler ses connaissances, pourtant importantes, ni se mettre en avant ; et, quand ses interlocuteurs l’amenaient à devoir parler de lui et de ses pérégrinations, il le faisait toujours avec parcimonie, une vraie modestie et une retenue pudique. 
 Enfin, parler de Gérard sans parler d’amitié serait oublier une chose essentielle dans sa vie. J’ai pu le découvrir et le vivre personnellement au fil du temps et des rencontres, autour de quelques bonnes bouteilles de vin ou de liqueur qu’il prenait plaisir à me faire découvrir avec modération. Car Françoise et Gérard aimaient partager ces moments simples, ces petites choses qui donnent du sel et du sens à la vie, qui sentent bon la vraie fraternité, spontanée, sans apprêt et chaleureuse…

 « Quand il est mort le poète, on enterra son étoile dans un grand champ de blé. » poursuivait Bécaud. C’est ici, en Hesbaye, ce coin de campagne qu’il appréciait tant, où, il aimait revenir dans son terrier pour se ressourcer, pour retrouver ses amis et vivre des moments paisibles avec Françoise, c’est ici, dans notre région, à deux pas de chez lui, que ses cendres ont été dispersées ; elles y enrichissent la terre comme Gérard, de son vivant, a enrichi ceux qu’il rencontrait. 

 Et la chanson se terminait par ces mots : « Et c’est pour ça que l’on trouve, dans ce grand champ, des bleuets… ». Des bleuets qui fleuriront en nos cœurs où l’image de Gérard, comme une photo souriante, illuminera nos souvenirs.

 « La mort ensevelit les secrets mais ravive les souvenirs. » disait un poète… Ceux que  nous conserverons de Gérard contribueront à le faire vivre longtemps encore en chacun de nous et nous aidera à apprendre à poursuivre notre chemin, dans la sérénité.

  Bruno Heureux.