Rencontre avec Isabelle Linotte, 
Au pays gris des « phares ouest »

« Des cargaisons de nuages encombrent les quais du Nord, 
   Les marées prennent les digues d’assaut au corps à corps… » 

Les quais du Nord
Ce nord, fortement teinté d'ouest, est le plat pays qui est le nôtre, les pieds trempés en mer de brume et célébre pour ses « vagues de dunes pour arrêter les vagues ». C’est en ce port d'attache, au coeur d'un « terrain vague » entre continent et grand large, que revient toujours l'intrépide et fragile vaisseau de l’imaginaire d’Isabelle Linotte au bout de ses voyages en rêveries.
Nées sur d'autres rivages par la magie de la création, naufragées rejetées sur la plage au rythme des ressacs écumants, ses oeuvres y survivent, d'abord, en prenant racine dans le sable humide puis s'y développent au gré de son inspiration ; enfin, ballottées au gré des rafales de vent, elles résistent aux assauts des éléments, telles des phares rassurants qui se dressent au seuil d'un monde superbe, attirant, envoûtant mais aussi cruel et dévastateur, imposant le respect et la prudence. «  J'aime cette mer, belle et complice comme une amie, je vénère cette dame, majestueuse et généreuse; mais je la crains aussi comme une ennemie redoutable, implacable... Si les gens pouvaient ne pas oublier que l’agresser, par arrogance ou inconscience, c'est encourir le risque d'une vengeance terrible, car elle est la plus forte… La nature a toujours raison, quelle que soit l'ambition et la témérité des hommes » dit en substance Isabelle Linotte.

Partage de valeurs
Ces quelques mots de l’artiste, aussi justes que ses tableaux, la dévoilent et définissent sa vision de la vie. Impossible de parler de la Mer du Nord avec un tel talent sans l'aimer d'une passion sincère, humble, fidèle, respectueuse... Isabelle y réussit parfaitement et livre, à qui partage ces vertus, les clés de la compréhension de son art et de sa philosophie, simples, exigeantes et vraies.
Professeur de peinture, de technologie des arts et de croquis au degré secondaire de l'Institut Saint-Luc à Liège, Isabelle Linotte essaie de transmettre à ses élèves, son goût du beau et de la création... comme elle le fait avec succès chez ses deux grands enfants, eux-mêmes déjà jeunes artistes pratiquants. De plus, elle leur fait partager les notions de respect de la nature et de développement durable, vitales l'une et l'autre pour la survie de notre planète et de chacun de ses habitants... Semailles incertaines pour des moissons lointaines et, elle l'espère, abondantes.

Spontanéité enfantine
«La mer, c'est l’innocence du paradis perdu, c’est le jardin de l'enfance où rien ne chante plus…» a écrit Jean Ferrat. Tout imprégnée d'une spontanéité enfantine heureusement préservée, Isabelle Linotte parcourt les grèves d'un littoral marin plein de trésors échoués: morceaux de voiles et de cordages, galets et coquilles de moules, déchets de cuivre et de bois rongés par le sel, poignées de coquillages et de sable fin. Puis, pas égoïste pour un sou, elle les livre aux spectateurs de l'exposition en les intégrant, avec à propos, à ses peintures où les reflets jaunes et oranges du gris environnant créent des ambiances qui sentent l'iode, les embruns et le varech.
Sans personnages apparents, les toiles d'Isabelle Linotte évoquent pourtant un univers où l'homme mène des luttes difficiles qui laissent des traces : contre l’océan, où les pêcheurs risquent leur vie pour des pêches de moins en moins généreuses ; contre le chômage, depuis que les phares, perdus pour les hommes, ont été automatisés, transformant leur flamme alimentée par des amis de la mer en de vulgaires briquets informatisés, anonymes et sans coeur.

Une éponge
Comme l'artiste qui a su si bien « être une éponge du monde, s'en imprégner, l’écouter, le respecter et lui redonner une autre vie par la création artistique », chaussons nos bottes et nos cirés pour une ballade vivifiante au grand air d'une exposition débordante de sensibilité et d'amour pour la nature et tous les humains.


Bruno Heureux.