L’Eglise Catholique : 
Dos aux fidèles. Dos au mur ! Dos au monde ? 

Le pape empêché de s’exprimer dans une université romaine, c’est interpellant. Regrettable surtout: un débat franc, même houleux, vaut toujours mieux qu’un déni de parole. Mais peut-être le Souverain Pontife ressentit-il aujourd’hui ce que vivent au sein de l’église ceux qui ne partagent pas les vues de la hiérarchie romaine et se font bâillonner ou excommunier. Et si cela l’amenait à être plus tolérant, plus respectueux et plus à l’écoute des voix dissonantes aux sein de l’Eglise ? On peut rêver. 

Dos aux fidèles
C’est fait, les catholiques romains peuvent de nouveau assister à l’office en latin, dit « messe de Pie V », le prêtre officiant en vêtements liturgiques d’avant Vatican II et dos aux fidèles. Quelques réflexions à ce sujet et découlant de celui-ci.
D’abord, il faut savoir que Pie V a été pape 1566 à 1572 ; donc parler de « sa » messe comme celle qu’ont toujours connue les chrétiens est abusif, même si, comme l’affirment ses partisans, certains éléments de cette messe remonteraient au Vème siècle.
Posons un regard positif sur la liturgie en latin : elle est belle dans son expression écrite et dans sa musique grégorienne. Que l’on en revienne aux vêtements liturgiques « traditionnels », même à la soutane et à la tonsure,  apparaît comme secondaire. L’important est qu’en des lieux où des gens de races, cultures et langues différentes se rassemblent pour exprimer une même foi, l’utilisation du latin constitue un dénominateur commun au symbole d’unité très fort. 
Par contre, permettre au peuple des fidèles, partout dans le monde, de comprendre ce qui se dit à la messe, en utilisant la langue locale, paraît découler du simple bon sens ; cela contribue aussi à donner une autre image de l’Eglise, qui est trop souvent apparue comme maintenant ses membres dans l’ignorance pour s’assurer de leur obéissance aveugle et mieux imposer son pouvoir. 
Quant à la volonté  de dire la messe dos aux fidèles, elle laisse perplexe. La messe n’est-elle pas la Cène, le repas partagé par Jésus avec ses disciples peu avant sa mort ? Or, lorsqu’on partage un repas, tourne-t-on le dos aux autres convives. Non, quoi qu’en pensent les hautes sphères vaticanes ! 

Dos au mur
En Europe occidentale, alors que notre siècle est pourtant en recherche de spiritualité pour répondre au matérialisme ambiant, l’Eglise catholique connaît un déclin important dans ce qui constituait ses bases traditionnelles. 
Moins de prêtres signifie non seulement une restructuration du travail paroissial, un changement des mentalités et une autre redistribution des tâches pastorales mais aussi, malheureusement, un choix plus restreint de personnalités de qualité, capables d’assumer, à tous les niveaux, les défis et charges de l’église d’aujourd’hui. Et ce n’est pas l’initiative prise par un évêque de chez nous d’envoyer une lettre au rhétoriciens pour les sensibiliser à une éventuelle vocation sacerdotale qui va changer les choses. D’ailleurs, qu’elle(s) réponse(s) a-t-il reçue(s) ? Si cela avait été enthousiasme, adhésion, cela se saurait ! 
Moins de pratique religieuse, de fidèles aux célébrations dominicales, de baptêmes, mariages et enterrements à l’église : les statistiques sont impitoyables, l’Eglise en Europe de l’Ouest est en perte de vitesse et dos  au mur. Alors, le retour de la messe en latin, tentative de rassembler les brebis séparées d’un même troupeau ou repli sur soi en attendant que l’orage passe ?  Mais l’orage passera-t-il jamais ?
Là où, jadis, elle acceptait l’autorité et le magister sans se poser de question, aujourd’hui, la masse des gens, plus formée peut-être, plus informée en tout cas, ne gobe plus « sans lire la notice » ce que Rome et sa hiérarchie veulent lui faire avaler « pour son bien » en pensant à sa place. Les gens ont une conscience et l’utilisent, parfois mal, certes, mais parfois aussi avec discernement ! 
Enfin, face à un Islam en pleine progression dans nos régions et omniprésent dans les médias, l’Eglise est en quête d’une plus grande visibilité. C’était le but annoncé de Toussaint 2006 à Bruxelles, sur le thème des chrétiens dans la ville. Pourtant, la bible est claire : « Vous êtes le sel de la terre »; le sel est invisible, il doit simplement donner le goût aux choses. Le sel que peut constituer l’Eglise donne-t-il vraiment du goût au monde d’aujourd’hui ?

Dos au monde
Certains communiqués du Vatican sont sidérants et amènent beaucoup à se poser cette question : « N’ont-ils que cela à faire ? » Ainsi, il y a quelques mois, l’un disait que le bon chrétien, lorsqu’il monte dans sa voiture, doit faire le signe de la croix et se conduire sur la route en bon chrétien. Il y a quelques semaines, on lisait que «  l'objection de conscience est un droit qui doit être reconnu aux pharmaciens. Il leur permettrait de ne pas collaborer, directement ou indirectement, à la fourniture de produits ayant pour but des choix clairement immoraux, comme par exemple l'avortement et l'euthanasie. »  Déclarer cela, c’est, en quelque sorte, enfoncer des portes ouvertes. C’est aussi donner l’impression que l’Eglise tourne le dos au monde, « oublie » d’apporter une réponse, adaptée à notre époque, aux  problèmes vitaux des gens : matérialisme, pauvreté, faim, changement climatique, analphabétisme, sida, contraception, rôle des femmes dans les sociétés,  injustices sociales, fossé entre le nord et le sud, guerres de religion…
Non, cette Eglise-là ne séduit pas, surtout pas les jeunes ! Par contre, qu’elle est belle, attirante et, surtout, fidèle à Jésus de Nazareth, lorsqu’elle prend les traits de Monseigneur Romero, du Père Damien, de Mère Teresa, de l’Abbé Pierre, de Sœur Emmanuelle, du docteur Schweizer, de Monseigneur Tutu, de Martin Luther King, de Gandi, de Frère Roger de Taizé… Lorsqu’elle progresse plus dans les chemins d’ouverture et de tolérance de Monseigneur Gaillot, de Gabriel Ringlet et de simples fidèles au service de leurs frères que dans les traces de l’Opus Dei et de princes de l’église parfois fort éloignés des réalités du terrain et de l’esprit de l’évangile… Lorsqu’elle se montre plus humble, moins sûre de posséder la vérité mais offrant au monde sa part de vérité, moins soucieuse d’imposer sa morale notamment dans des domaines où ses références sont sujettes à caution… Lorsqu’elle se révèle vraiment accueillante à d’autres spiritualités que la sienne, spiritualités pratiquées par des hommes de bonne volonté, qu’ils soient laïques ou religieux … Lorsqu’elle respecte mieux l’esprit du Concile Vatican II dont on a de plus en plus l’impression qu’il est aujourd’hui saboté… En une phrase et au risque de paraître provocateur, lorsqu’elle accepte d’être moins catholique dans les formes mais plus chrétienne dans l’esprit et la pratique… Oui, alors, sans tapage, elle est vraiment le sel de la terre.

Bruno Heureux.