Rencontre avec Costa Lefkochir :
Au cœur de l’invisible, l’humanisme !

Il m’avait donné rendez-vous, au soleil couchant, dans un coin de la campagnarde cathédrale. De peur de le faire attendre, j’arrive un peu à l’avance et en profite pour visiter le lieu au cœur du silence ; je me sens comme épuré par son architecture sobre, imprégné aussi d’une lumière d’au-delà pareille à celles que les compagnons bâtisseurs d’un autre temps inventaient pour leurs rosaces ciselées dans la pierre. Je suis sous le charme. Ses greniers désertés par le grain des récoltes et transformée en sanctuaire de l’art, cette ferme hesbignonne accueille, pour quelques semaines encore, trois artistes dont des émotions sœurs ont renforcé l’amitié ; ils y ont accroché leurs œuvres pour les partager avec le public de chez nous. Grandes toiles, sortes de vitraux  contemporains, textes venus du fond de l’âme, peintures plus petites à dimensions humaines, toutes attirent et répandent la lumière au sein de l’écrin majestueux qui dirige  le regard, au-delà du visible, vers l’essentiel invisible.

Arrive alors Costa Lekochir, discret, me surprenant dans ma contemplation et ma méditation. Lui aussi apprécie l’endroit ; et, d’un accord tacite, nous partageons quelques secondes de l’éternité sereine que diffuse en nous la sage majesté des vieux murs en briques, chapeautés de poutres séculaires ravinées par leur âge vénérable. Mais, nous somme là pour « travailler », pour une entrevue, et rompons enfin le silence, sans excès, comme impressionnés par les lieux.
 
La poignée de main de Costa est franche, son sourire immédiat et vrai, son propos réfléchi ; sa voix calme vibre de persuasion, non celle d’un quelconque prosélytisme mais d’une conviction intérieure qui s’exprime par ses mots et prend vie grâce à ses pinceaux. Car les tableaux de Costa Lelkochir sont œuvres de vie : de vie extérieure, à portée du regard, de vie intérieure à découvrir au gré des émotions et au fil de la sensibilité. En effet, on ne peut que s’interroger sur le contenu invisible de chaque toile et, en même temps, se poser des questions sur notre aptitude personnelle à aller au-delà des apparences. Il est vrai que le thème même de l’exposition, « voyage au-delà du visible », suscite pareille démarche.
 

En savoir davantage sur l’invisible chez Costa Lefkochir, c’est pousser la porte de son âme. Ebloui, d’abord, par sa richesse artistique, on y décèle ensuite, omniprésent, un humanisme qui donne à l’homme une dimension dépassant largement le cadre de la seule peinture ; c’est aussi côtoyer la spiritualité et poser la question des religions et de(s) dieu(x). « L’essentiel, dans toute religion, c’est la rencontre de l’autre, le respect de sa différence, le partage fraternel, à l’exemple de Jésus de Nazareth ; là, je vois la présence de Dieu… La religion, c’est d’abord la vie concrète de tous les jours, pas le dogme, la  « vérité » imposée d’ailleurs… »  Et de faire immédiatement un lien avec l’art où l’essentiel est la qualité et l’authenticité de l’œuvre, émancipée de règles académiques rigides et de courants trop scolaires. 

L’abstraction des œuvres de Costa favorise le développement du sens de l’invisible ; elle permet de se détacher d’images concrètes qui orientent et, peut-être, limitent la faculté à découvrir ce qu’il y a au-delà des objets ; elle aboutit finalement à la découverte de l’univers, de ses vibrations, du cosmos, de la lumière venue d’ailleurs, bien au-delà du visible. Cette découverte n’est pas le fruit d’une réflexion intellectuelle mais l’accouchement d’une vision personnelle et émotionnelle de la place de l’homme, de chacun d’entre nous dans l’univers

Chez Costa, l’invisible a aussi les traits d’un être aimé, l’image émue de sa maman « qui, grande artiste, pourtant, n’a jamais eu l’occasion de se consacrer à l’art tant elle devait s’occuper de mon frère handicapé ; alors, elle m’a donné le meilleur d’elle-même pour me permettre de développer les qualités artistiques qu’elle voyait en moi. Souvenir inoubliable et plein de reconnaissance ! » 

Puis, Costa Lefkochir évoque les deux autres artistes qui partagent l’exposition avec lui, Jean-Luc Herman, autre peintre belge et Israêl Eliraz, poète juif israélien : l’occasion d’exprimer une admiration, un respect, une convergence « spirituelle » et  une amitié qui, c’est évident, constituent le secret et le ciment d’une exposition réussie et cohérente. Connivence artistique, certes, mais surtout communion humaniste, dépassant les frontières des pays, des cultures, des langues, des styles... Superbe et enrichissante  mise en commun de talents et de créativités, loin de toute rivalité stérile !

Enfin, Costa tient à me parler de l’enfant pour regretter que notre époque ne parvienne décidément pas à construire un monde de paix et d’amour, où la créativité pourrait s’exprimer dans les meilleures conditions ! « Au lieu de cela, la réalité de l’enfance s’énonce en enfants soldats, enfants esclaves, enfants abusés, enfants affamés… Et si, pour changer le cours des choses, chacun d’entre nous apportait sa petite goutte d’eau pure à l’océan pour le rendre moins sale, moins pollué ! Alors l’enfance retrouverait de sa pureté et de son innocence dont notre monde a besoin autant que de pain et d’eau. » Cri d’angoisse et d’espérance qu’il pousse également dans l’invisible de ses créations

Notre entrevue touche à sa fin et Costa souhaite la conclure sur l’acte de foi qui guide sa vie d’homme et d’artiste : « Ce que nous devenons est la somme de nos rencontres, pas intéressées mais intéressantes, spontanées qui, avec leurs richesses partagées, nous font découvrir nos propres richesses à partager… Et là aussi, je vois Dieu car quand je rencontre quelqu’un et qu’un lien s’établit entre nous, ce sont des instants d’éternité » ... Je dis : « Au revoir et merci ! » à Costa pour sa rencontre ; et au moment où nous nous quittons, je sens que dieu (celui de l’art ? En fait, peu importe son nom) se retire discrètement, aussi secrètement qu’il s’était invité à notre partage…

Finalement, j’ai peu parlé de peinture ; mais vous faire mieux connaître Costa Lefkochir vous a peut-être donné une clé pour pénétrer son invisible et celui de ses œuvres : vous ne serez pas déçus.

Bruno Heureux