Au cœur de l’invisible, l’humanisme ! Il
m’avait donné rendez-vous, au soleil couchant, dans un coin de
la
campagnarde cathédrale. De peur de le faire attendre, j’arrive
un
peu à l’avance et en profite pour visiter le lieu au cœur du
silence
; je me sens comme épuré par son architecture sobre,
imprégné
aussi d’une lumière d’au-delà pareille à celles
que
les compagnons bâtisseurs d’un autre temps inventaient pour leurs
rosaces ciselées dans la pierre. Je suis sous le charme. Ses
greniers
désertés par le grain des récoltes et
transformée
en sanctuaire de l’art, cette ferme hesbignonne accueille, pour
quelques
semaines encore, trois artistes dont des émotions sœurs ont
renforcé
l’amitié ; ils y ont accroché leurs œuvres pour les
partager
avec le public de chez nous. Grandes toiles, sortes de vitraux
contemporains,
textes venus du fond de l’âme, peintures plus petites à
dimensions
humaines, toutes attirent et répandent la lumière au sein
de l’écrin majestueux qui dirige le regard, au-delà
du visible, vers l’essentiel invisible. Arrive
alors Costa Lekochir, discret, me surprenant dans ma contemplation et
ma
méditation. Lui aussi apprécie l’endroit ; et, d’un
accord
tacite, nous partageons quelques secondes de l’éternité
sereine
que diffuse en nous la sage majesté des vieux murs en briques,
chapeautés
de poutres séculaires ravinées par leur âge
vénérable.
Mais, nous somme là pour « travailler », pour une
entrevue,
et rompons enfin le silence, sans excès, comme
impressionnés
par les lieux. L’abstraction
des œuvres de Costa favorise le développement du sens de
l’invisible
; elle permet de se détacher d’images concrètes qui
orientent
et, peut-être, limitent la faculté à
découvrir
ce qu’il y a au-delà des objets ; elle aboutit finalement
à
la découverte de l’univers, de ses vibrations, du cosmos, de la
lumière venue d’ailleurs, bien au-delà du visible. Cette
découverte n’est pas le fruit d’une réflexion
intellectuelle
mais l’accouchement d’une vision personnelle et émotionnelle de
la place de l’homme, de chacun d’entre nous dans l’univers
Chez
Costa, l’invisible a aussi les traits d’un être aimé,
l’image
émue de sa maman « qui, grande artiste, pourtant, n’a
jamais
eu l’occasion de se consacrer à l’art tant elle devait s’occuper
de mon frère handicapé ; alors, elle m’a donné le
meilleur d’elle-même pour me permettre de développer les
qualités
artistiques qu’elle voyait en moi. Souvenir inoubliable et plein de
reconnaissance
! » Puis,
Costa Lefkochir évoque les deux autres artistes qui partagent
l’exposition
avec lui, Jean-Luc Herman, autre peintre belge et Israêl Eliraz,
poète juif israélien : l’occasion d’exprimer une
admiration,
un respect, une convergence « spirituelle » et une
amitié
qui, c’est évident, constituent le secret et le ciment d’une
exposition
réussie et cohérente. Connivence artistique, certes, mais
surtout communion humaniste, dépassant les frontières des
pays, des cultures, des langues, des styles... Superbe et
enrichissante
mise en commun de talents et de créativités, loin de
toute
rivalité stérile ! Enfin,
Costa tient à me parler de l’enfant pour regretter que notre
époque
ne parvienne décidément pas à construire un monde
de paix et d’amour, où la créativité pourrait
s’exprimer
dans les meilleures conditions ! « Au lieu de cela, la
réalité
de l’enfance s’énonce en enfants soldats, enfants esclaves,
enfants
abusés, enfants affamés… Et si, pour changer le cours des
choses, chacun d’entre nous apportait sa petite goutte d’eau pure
à
l’océan pour le rendre moins sale, moins pollué ! Alors
l’enfance
retrouverait de sa pureté et de son innocence dont notre monde a
besoin autant que de pain et d’eau. » Cri d’angoisse et
d’espérance
qu’il pousse également dans l’invisible de ses créations
Notre
entrevue touche à sa fin et Costa souhaite la conclure sur
l’acte
de foi qui guide sa vie d’homme et d’artiste : « Ce que nous
devenons
est la somme de nos rencontres, pas intéressées mais
intéressantes,
spontanées qui, avec leurs richesses partagées, nous font
découvrir nos propres richesses à partager… Et là
aussi, je vois Dieu car quand je rencontre quelqu’un et qu’un lien
s’établit
entre nous, ce sont des instants d’éternité » ...
Je
dis : « Au revoir et merci ! » à Costa pour sa
rencontre
; et au moment où nous nous quittons, je sens que dieu (celui de
l’art ? En fait, peu importe son nom) se retire discrètement,
aussi
secrètement qu’il s’était invité à notre
partage… Finalement, j’ai peu parlé de peinture ; mais vous faire mieux connaître Costa Lefkochir vous a peut-être donné une clé pour pénétrer son invisible et celui de ses œuvres : vous ne serez pas déçus. Bruno
Heureux
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