Une bonne heure de vrai bonheur Autant l’avouer d’entrée, je ne vais plus jamais au théâtre, mes expériences antérieures ne m’ayant pas laissé des souvenirs impérissables. Pourtant, ce soir-là, j’ai bravé la froidure d’une soirée annonçant l’hiver. Pourquoi ? Surtout par amitié pour Frédéric Gustin et ses proches ; par respect aussi à l’égard de personnes qui luttent pour refaire surface après avoir été engloutis dans les tourbillons inattendus de la vie ; pour. comme d’autres spectateurs, sans doute, poser un geste de solidarité avec des « handicapés »…. Mais non, ce n’est pas moi qui ai tendu la main vers les acteurs de la Braise, mais eux qui me l’ont tendue : vraiment le monde à l’envers ! Le monde à l’envers En
effet, c’est moi, ce sont les spectateurs qui sont reparti enrichis
par le spectacle. Eux et moi avons soudain pris conscience que ce
n’était pas le respect de la différence et du handicap
qui s’exprimait surtout mais son audace à l’assumer. Car, il
faut une fameuse dose de courage, de volonté ( je cherche le mot
juste), de force intérieure pour affronter le regard du public
avec ses lésions : lésions qui ne sont pas toujours
aussi visibles qu’une boîte crânienne
défoncée et qu’une démarche où l’on devine
la rééducation en cours mais qui sont le plus souvent des
fissures invisibles au regard mais pourtant bien profondes.
Merci à ces acteurs de nous avoir apporté leur réconfort, leur lucidité sur eux-mêmes, leur foi en la vie, leur talent dans la lutte pour recouvrer l’essentiel, la dignité, toutes richesses inestimables qu’il nous arrive parfois d’oublier à force de nous faire ch… et, plus grave encore, de faire ch… notre entourage pour des choses qui n’en valent vraiment pas la peine. La rencontre Le
thème de la pièce est celui de la rencontre :
celle d’un amour qui prend la patience de grandir, de
s’épanouir, de trembler sous les doutes de l’existence
journalière ; d’un amour qui prend le temps de vieillir
pour se dépouiller de l’accessoire et ne retenir l’essentiel.
Rencontre également des acteurs de La Braise avec un public qui ne leur est pas tout acquis, avec un vrai public prêt à les accepter mais aussi à faire la moue si le spectacle devait ne pas lui plaire… ce qui n’a pas été le cas tant l’interprétation a été juste,vraie, sensible. Rencontre, enfin, des acteurs avec eux-mêmes, face à leurs limites, au fur et à mesure du temps repoussées plus loin qu’ils n’osaient l’espérer. Le spectacle Le
spectacle est total, alliant, en un dosage subtil et
équilibré, tous les ingrédients offerts par les
arts de la scène : textes et diction, jeu d’acteurs,
poésie, humour, réalisme, philosophie, danse, chant,
quelques rares accessoires choisis avec soin, éclairages,
ambiance sonore, décors, maquillage, costumes,… le tout se
révélant un potage, un breuvage, un message, à
consommer sans modération… ce que le public a fait avec
enthousiasme, notamment par ses applaudissements chaleureux que par la
reprise spontanée de mélodies interprétée
par un des comédiens. Un moment de communion avec des acteurs
qui ne jouent pas un rôle mais qui interprètent et vivent
une tranche de vie, de leur vie avec une sincérité et une
justesse qui fait mouche.
L’auteur Frédéric
Gustin est l’auteur de cette pièce comme
celui de toutes les autres au répertoire de la troupe de La
Braise. On le connaissait déjà artiste-peintre, dont la
plupart des toiles aux visages exprimaient questionnement,
inquiétude, souffrance, peur, avec une dureté
accentuée par le choc de couleurs crues. Aujourd’hui, c’est
évident, l’écriture permet à
Frédéric de donner une vision plus large, plus
nuancée, plus douce, plus accueillante de sa vraie
personnalité, que sa peinture, pourtant interpellante, n’avait
jamais réussi à exprimer. La juxtaposition de l’art
pictural et de la dramaturgie nous font rencontrer un être
complexe mais dont peut découvrir la profondeur en saisissant
les indices qu’il nous tend à travers ses mots.
C’est au travers ces derniers que l’on découvre un vrai talent de Frédéric Gustin : celui de dire des choses essentielles, en peu de mots, justes, en phrases courtes que ses acteurs, privés de mémoire fiable, peuvent retenir, exprimer et sublimer de leurs regards, mimiques et gestes. Ecrire une pièce de théâtre qui se tient et qui tienne le public en haleine est déjà un défi que Frédéric a réussi ; mais le faire dans un tel contexte relève du grand art. Frédéric Gustin laissera-t-il son nom dans l’histoire du théâtre ? Sans doute que non et, je le sais, il s’en moque. Mais sa trace restera indélébile dans le cœur et dans la vie de celles et ceux qui ont reçu ses mots comme un cadeau, enfin, de la vie, mots qui, leur ont permis de vivre et de rayonner malgré leur différence. Mais au-delà de Frédéric, il serait injuste d’oublier toute l’équipe de la Braise qui croit au projet théâtre et qui soutient dramaturge et acteurs dans leur entreprise. Les bravos du public leur étaient également destinés. Une équipe soudée, au service des gens, voilà un exemple qui devrait inspirer pour nos politiciens belges. L’absence L’absence
de tout représentant de ces derniers, majorité
et opposition confondues, constitue le seul regret à l’issue
d’une soirée réussie. Leur présence aurait
été une preuve concrète de l’intérêt
et du respect portés aux personnes handicapées et
à ceux qui oeuvrent à leur réinsertion dans la
société. Certes, cela n’est pas porteur en voix, ces
messieurs et dames sont très occupés et ne peuvent pas
assister à tout… mais, soyez en sûrs, ils seront tous
là au prochain bal du bourgmestre !
Mépris ? Je ne le crois pas ! Indifférence ? Peut-être ! Inconscience ? Possible ! Estimation à très court terme des priorités dans l’existence ? Sans doute ! Mais, à coup sûr, ratage de rendez-vous importants avec l’essentiel de la vie, à savoir la rencontre, simplement humaine, le partage gratuit sans intérêt sous-jacent, l’expression culturelle au sens large, en un mot, l’humanisme. Dommage pour eux, mais aussi pour leurs administrés déçus, notamment les plus démunis face aux dures réalités quotidiennes d’un monde façonné pour les forts, les puissants et les nantis. Heureusement, il y avait le public hannutois, fait de gens ordinaires, pour rectifier le tir et faire sentir à l’ensemble de La Braise qu’il avait apprécié son spectacle et son combat pour la dignité retrouvée. Bruno Heureux. |