Au seuil des retrouvailles, sa poignée de main
franche et son sourire venu tout droit du cœur, accueillent le
visiteur. Ses rencontres, brèves parfois, le temps de quelques
chansons, mais toujours uniques, Julos Beaucarne les façonne
avec respect, comme des œuvres d’art. A la question
traditionnelle : « Que
deviens-tu, Julos ? » : sa
réponse jaillit, naturelle, immuable : «Je deviens ce que
je suis ! » Ces six mots suffisent à
dépeindre
l’homme, humaniste, écrivain et poète chansonnier bien de
chez nous et de partout ailleurs.
Alors, que vous dire de plus, de mieux, après son récent
spectacle à Hannut ? Qu’il a répondu à l’attente
des nombreux spectateurs ? Que l’artiste fut à la hauteur
de sa réputation et de son talent ? Que la voix magnifique de
Barbara d’Alcantara et le jeu de guitare raffiné de Patrick De
Schuyter ont constitué un étui superbe pour un Julos
pareil à lui-même et heureux de partager la scène
avec eux ? … Sans doute, mais ce serait inutile puisque attendu et
habituel, où qu’il pose sa guitare fidèle et ses valises
pleines de mots nés de sa plume inspirée.
Ajoutons, tout simplement, que le jaseur a bien jasé ; ses
musiques et ses dires ont éclairé le public, comme des
aurores boréale, lumineuses, mystérieuses, belles,
colorées, nées dans un Grand Nord bien loin de nos
médiocres frontières, incitant à la
réflexion et, rêvons, à l’action.
J’ai le privilège de parcourir, moi modestement, lui en
rayonnant, les mêmes chemins que Julos, ceux de la poésie,
langue universelle et galactique. Parfois, nous nous y croisons, en des
carrefours inattendus, en des moments savourés
d’authenticité, de partage simple et spontané, du rire,
de l’émotion et de ce que nous essayons d’être, des
semeurs de bonheur. Alors, j’aimerais vous faire mieux connaître
encore l’homme qu’il est, petit de taille, direz-vous, mais combien
grand d’humanité. Tâche difficile que d’évoquer
quelqu’un qui vous écrit « Mon Bruno ! », signe
discret mais touchant d’une complicité artistique et amicale. Je
l’ai déjà fait dans une de mes chansons, intitulée
« Le poète ». Aujourd’hui, j’y renonce et confie la
mission à Jacques Brel et l’une de ses premières
compositions, « L’homme dans la
cité. » C’est fou ce
qu’elle ressemble à notre Julos !
Pourvu que nous vienne un homme
Aux portes de la cité
Que l'amour soit son royaume
Et l'espoir son invité
Et qu'il soit pareil aux arbres
Que mon père avait plantés
Fiers et nobles comme soir d'été
Et que les rires d'enfants
Qui lui tintent dans la tête
L'éclaboussent de reflets de fête
Pourvu que nous vienne un homme
Aux portes de la cité
Que son regard soit un psaume
Fait de soleils éclatés
Qu'il ne s'agenouille pas
Devant tout l'or d'un seigneur
Mais parfois pour cueillir une fleur
Et qu'il chasse de la main
A jamais et pour toujours
Les solutions qui seraient sans amour |
Pourvu que nous vienne un homme
Aux portes de la cité
Et qui ne soit pas un baume
Mais une force une clarté
Et que sa colère soit juste
Jeune et belle comme l'orage
Qu'il ne soit jamais ni vieux ni sage
Et qu'il rechasse du temple
L'écrivain sans opinion
Marchand de rien marchand d'émotion
Pourvu que nous vienne un homme
Aux portes de la cité
Avant que les autres hommes
Qui vivent dans la cité
Humiliés d'espoirs meurtris
Et lourds de leur colère froide
Ne dressent aux creux des nuits
De nouvelles barricades. |
Je me répète, c’est fou ce que ce portrait
ressemble à Julos : ces vers traduisent l’essentiel du barde
wallon, à savoir l’honnêteté des intentions et des
combats, la dignité devant les grands, l’humilité parmi
les petits, la force de l’engagement, la poésie du rêve,
le talent de l’humanisme. Qu’ajouter ? Rien… si ce n’est
peut-être que…
Les autres hommes qui dirigent la cité Univers ont trop souvent
fait de « la loi du plus fort celle du moindre effort », de
l’injustice leur piédestal, de leurs compromissions une
façon d’être, de l’égoïsme leur fortune…
Pourvu que les peuples dont ils abusent et se moquent osent un jour la
révolte et ouvrent bien grandes les portes de la cité
à tous les Julos de notre planète, des autres
planètes. Alors, tomberont les murs de la honte, de la haine, du
rejet entre les habitants de la cité Univers ; alors germeront
sur leurs ruines des fleurs d’amour, d’espoir, de justice, de partage
et de liberté, partout, dans les foyers, rues, carrefours, cieux
et coeurs…
Merci à Julos Beaucarne de nous chanter que cela est possible,
que « Yes, we can ! » Chiche !
Bruno Heureux