Les JMJ à Cologne, en fanfare,
Rencontres à Taizé, sans tambour ni trompette

            Il y a une quinzaine de jours, les Journées Mondiales de le Jeunesse à Cologne et la mort de Frère Roger à Taizé ont marqué la chrétienté, révélatrices les unes et l’autre d’états d’esprit très différents d’envisager la rencontre et la réconciliation.

Les JMJ de Cologne

            A une époque où l’Eglise Catholique semble en perte de vitesse, où les églises se vident, où la pratique religieuse à la papa paraît bien archaïque, voir des centaines de milliers de jeunes se rassembler pour exprimer leur foi est interpellant. Qu’elle est réconfortante la démarche de cette jeunesse à la recherche de la spiritualité dont notre monde matérialiste a perdu le sens et dont il a autant besoin que d’une couche d’ozone restaurée.

            Pourtant, le succès même de ce « jamboree », sa construction minutieusement élaborée par le Vatican, la mise à l’écart systématique de thèmes importants pour la vie et l’avenir des jeunes (et de la planète) posent questions. De quels jeunes, de quelle foi s’agissait-il ? « Nous sommes venus l’adorer » (Mathieu 2,2) proclamait le thème officiel de ces journées. Qui représente le « l’ » de « l’adorer ». Les jeunes n’ont-ils pas été abusés sur la qualité réelle du viatique light qui leur a été distribué au cours de ces rencontres par les officiels de l’Eglise de Rome ? Que cherchait vraiment cette dernière ?

            Sans vouloir ni pouvoir répondre de façon exhaustive à ces questions, remarquons simplement plusieurs choses. Les participants étaient essentiellement de jeunes Européens, le plus souvent cultivés et impliqués dans la vie de l’Eglise ; j’oserais dire une certaine élite, loin de représenter l’ensemble de la jeunesse du monde qui a d’autres soucis immédiats que la religion et pour qui la survie est un combat de tous les jours, la pauvreté, le seul horizon, la faim, son pain quotidien, le sida, un mortel compagnon de route… De jeunes Européens que le pape souhaite transformer en « nouveaux croisés pour reconquérir le monde »… en fait, pour reconquérir la prédominance sur le monde, que l'église a perdue en se coupant des réalités d’aujourd’hui et en s’en tenant à un enseignement souvent obsolète dans sa forme. Rien que l’évocation d’une croisade de reconquête est inquiétante. La jeunesse doit-elle se faire guerrière au service d’une idéologie combattante voire parfois intégriste, intolérante ? Le monde n’a-t-il pas plutôt besoin de levain, invisible, mais actif dans la pâte pour lui donner forme, consistance et saveur. N’est-ce pas par l’exemple, par l’action, au fil du temps, dans le milieu où il vit, loin des spots, modestement, que le chrétien, comme tout homme d’ailleurs, peut contribuer à rendre le monde meilleur ?

            Le Vatican et le nouveau pape semblaient être venus à Cologne en quête d’une légitimité de masse, en évitant soigneusement d’aborder tous les sujets brûlants comme l’usage du contraceptif, l’avortement, la mort assistée, la recherche médicale, l’ouverture de la prêtrise aux personnes mariées, hommes et femmes, la démocratisation de l’Eglise, la remise de la dette du tiers-monde, la théorie de la libération… sur lesquels l’adhésion unanime et apparente de la foule aurait volé en éclats. Et c’est là que se situe la plus grande des contradictions que celle de jeunes directement concernés par ces problématiques « oubliées » qui applaudissent, comme une idole, un chef qui leur ressert pourtant des formules périmées (comme celle des indulgences plénières) peu en phase avec le siècle actuel !!! Serait-ce là le résultat d’une habile de manipulation ? Si c’est la cas, pauvres jeunes !

            Ce qui frappe le chrétien que je suis, c’est l’éclat donné à la forme, à la fonction papale et au claironnement dogmatique d’une Eglise qui se dit seule détentrice de La Vérité, repoussant dans l’ombre le fondement, l’essentiel de la religion chrétienne, à savoir le simple et facile à comprendre message de Jésus de Nazareth  « Aimez-vous les uns les autres ». Message que, il est important de le souligner, l’on retrouve aussi, exprimé sous des formules différentes, dans d’autres religions et chez les humanistes athées. Car quoiqu’en dise le pape, ce n’est pas Dieu, « Deus ex machina », qui va changer le monde mais un plus grand amour, un plus grand respect, une plus grande solidarité entre les hommes ; mais, au fond, Dieu, n’est-ce pas cela, l’Amour ?

Taizé

Pendant ce temps, à Taizé, Frère Roger mourait, dans des circonstances tragiques. Et toute une communauté de fait, se rassemblait, de façon plus fervente encore, autour de ce qui a été la ligne de conduite immuable du fondateur de cette communauté œcuménique. L’occasion aussi de rappeler au monde l’essence même de l’œuvre de l’humble Frère Roger, un chrétien issu de la Réforme. Celui-ci s’était très tôt étonné de  voir des chrétiens qui, tout en se référant à un Dieu d’amour, perdaient tant d’énergies à justifier des oppositions. Et qui s’était dit : « Pour communiquer le Christ, y a-t-il réalité plus transparente qu’une vie donnée, où, jour après jour, la réconciliation s’accomplit dans le concret ? » Et de fonder, sur cette réflexion, la communauté de Taizé avec des hommes décidés à donner leur vie à une œuvre de réconciliation permanente, entre les religions, croyances, philosophies et peuples du monde, dans un large esprit œcuménique et de tolérance.

            Depuis, des générations de jeunes se sont rassemblés et se rassemblent encore spontanément à Taizé, sans qu’il faille recourir au battage médiatique pour les y amener. Ils trouvent là un accueil, respectueux de leurs croyances et un climat favorable à la prière, simplement, en communauté de femmes et d’hommes, de jeunes et de moins jeunes, toutes et tous de bonne volonté. Depuis 25 ans, Taizé organise également à l’étranger, des rencontres de quelques jours, sans aide européenne ni vaticane, avec des moyens modestes, sans tambour ni trompette. « Pour ces jeunes, nous souhaitons être avant tout des hommes d’écoute, jamais des maîtres spirituels… Avec eux, nous souhaitons aller aux sources de la confiance de la foi, en particulier à travers l’irremplaçable prière commune qui, par sa beauté, vient toucher le fond de l’âme… » aimait dire Frère Roger.

            Ce berger s’en est allé, mais son troupeau est bien vivant, laissant une image œcuménique et concrète de la chrétienté et de l’humanité qui, loin des grands shows et des discours professoraux, contribue à redonner au monde la dimension spirituelle indispensable à sa survie et à son progrès. Vraiment, sans doute pour l’avoir fréquentée lors de ma jeunesse, je me sens intimement en accord avec cette forme actuelle d’ « Eglise », humble et taizéenne, dont celle de Rome devrait, selon moi, mieux s’inspirer.

Bruno Heureux.