Neveu ?   Accessoirement !   Un grand artiste, surtout !

Mon départ au Québec, peu après la prestation de Gaëtan Leclerc à Hannut, m’a empêché de commenter  le grand moment de poésie et de vie qu’a été son spectacle en la salle de l’Académie. Aujourd’hui, de retour en Hesbaye, après avoir revu et chanté avec Gaëtan sur ses terres, je tiens à reparler de la très belle soirée du 19 septembre dernier : il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Gaëtan Leclerc

Fils de la terre, il ne peut le nier ; sa silhouette trapue et sa démarche lente peuvent conforter cette impression. Comme ses oncles et tantes, ses père et mère, ses sœurs et ses frères, il est de ces « paysans » revendiquant ce titre de noblesse rurale gagné de haute lutte, fiers de leur origine modeste où la préoccupation majeure est le mérite du pain quotidien. « Chez ces gens-là »1 , l’amour donné et reçu, le travail dur, la sueur généreuse, le partage équitable, les joies simples et la chaleur de la table familiale tissent la trame d’un jour après jour qui se vit au coude à coude.
Cette vie rude, pourtant, n’empêche pas la musique de réunir la famille Leclerc pour ses moments de détente autour d’un piano, d’un violon, d’une guitare et que sais-je encore, qui soutiennent les voix graves des hommes et celles cristalines des femmes et des enfants. Comment s’étonner, alors, que dans un tel climat, le plus grand poète chansonnier québécois du XXème siècle ait puisé à la source familiale l’essentiel  de sa poésie et de sa musique. Sans sa famille, Félix Leclerc n’aurait pas été l’immense poète chansonnier qu’il a été.
Sans cette famille, Gaëtan Leclerc ne serait pas non plus l’artiste qu’il est aujourd’hui. Se refusant, pensant des années, à « profiter » de la notoriété de son oncle, Gaëtan n’accepte finalement de chanter les compositions de Félix que pour un « gala exceptionnel, unique » à l’occasion d’un hommage à l’occasion des 10 ans de sa disparition. Gala unique qui connut un tel succès que, onze ans plus tard, il se répète encore, environ septante fois par an, tant les chansons de Félix restent une valeur sûre, mais tant celui qui les interprète possède, lui aussi, un talent énorme pour le faire. Le passage de Gaëtan Leclerc à Hannut en a été un exemple de plus qui a profondément touché les spectateurs d’une soirée inoubliable.

Un spectacle de gala
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Lorsqu’il s’avance sur scène vers le public, guitare à la main, sa veste blanche recouvrant le reste de sa tenue noire lui donne l’apparence d’un « monsieur loyal ». Loyal, c’est bien le mot qui convient. Loyal vis-à-vis de sa famille, qu’il raconte à petites doses savoureuses, dont il porte le nom avec dignité ; loyal à l’égard de son oncle qui, aux côtés de Brel et Brassens, doit sourire de voir son neveu reprendre avec générosité le flambeau de la chanson poétique ; loyal aux textes et musiques qui ont été la source et le pain béni de nombreuses boîtes à chansons au Québec et dans la francophonie ; loyal vis-à-vis du public qui, majoritairement, souhaite redécouvrir intact un répertoire de qualité trop souvent oublié dans les programmations radiophoniques…
En une heure et demie, où chaque chanson et chaque petit intermède évoquant sa jeunesse à l’ombre de Félix sont un régal pour les oreilles et le cœur, Gaëtan Leclerc se révèle un artiste complet. D’abord, sa voix, « mon instrument » comme il dit : grave, chaude et imprégnante, elle évoque immanquablement celle  de son oncle. Une copie ? Non, simplement un don naturel, marqué d’un caprice de l’hérédité, qui donne à l’interprétation de Gaëtan la mention « parfaite » par rapport à la version originale. Une voix qui peut passer de la caresse au coup de tonnerre avec une facilité étonnante, façonnée à l’école studieuse des vocalises journalières. Son jeu de guitare, ensuite, lui aussi impeccable à force de travail, sert de façon subtile et harmonieuse des textes qui n’en demandent pas plus pour exprimer la beauté et la justesse d’une poésie digne des plus grands noms de la littérature francophone. Enfin, tout au long du spectacle, la simplicité de Gaëtan se révèle à la fois touchante et intelligente : sans « se péter les bretelles,2 »  l’artiste se met humblement au service d’une œuvre dont l’héritage est certes pesant mais à laquelle il parvient à donner une authenticité et une nouvelle jeunesse jamais prises en défaut.
C’était impressionnant, après la prestation de l’artiste québécois d’entendre, réitérées à qui mieux mieux, des réflexions du type : « Je ne connaissais de Félix que Le P’tit Bonheur et Moi et mes souliers ; aujourd’hui, grâce à Gaëtan, j’ai découvert d’autres pans entiers d’un répertoire d’une richesse insoupçonnée. » Un couple de jeunes amateurs de « bonne chanson française » avouait ne pas connaître du tout Félix avant le spectacle et rendait grâce à Gaëtan de leur avoir fait feuilleter un superbe album aux parfums d’une poésie sans âge et aux accents d’humanisme universel.

Dans l’ombre
    
Dans ses valises, Gaëtan Leclerc emporte, bien sûr, sa guitare, ses textes, et son capodastre ; mais s’il oubliait son Hélène, à la fois épouse, impresario, organisatrice, agenda, pense-bête d’artiste souvent dans les nuages…, il ne pourrait certainement pas combler de bonheur les publics qui l’accueillent. Ce soir-là, à Hannut, une bonne part des bravos étaient aussi destinés à Hélène, une femme discrète mais dont la complicité se révèle indispensable dans la réussite de son Gaëtan.

L’amitié

Il y eu beaucoup de moments forts au cours du spectacle. Mais l’un d’eux a particulièrement interpellé le public, lors des divers remerciements de l’artiste : voulant m’exprimer sa gratitude, à moi, son ami, grâce à qui il avait pu chanter sur la scène hannutoise, Gaëtan se retrouva sans mots, sans voix ; seules, quelques larmes pudiques, impossibles à contenir, exprimèrent une émotion qui n’avait d’égale que la mienne. Qu’elle était belle cette amitié partagée entre deux « colosses » aux cœurs sensibles!
Merci, Gaëtan, pour elle, pour ce spectacle splendide, pour ce Félix à qui tu rends si bien la vie et, surtout, pour ce que tu es… Reviens-nous vite… avec Hélène, bien sûr !

    Bruno Heureux
1Comme le chantait Brel.
2Expression québécoise signifiant « attraper un gros cou »