Simplement, entre amis,
Une après-midi avec Florence Aubenas

L'attente
Durant plus de cinq mois, auprès de sa maman, une admirable mère-courage, parmi ses proches, amis, collègues et une foule d'inconnus, Yvette et Joseph avaient patienté sur le quai de l'attente : en se rongeant les sangs, passant de l'espoir à l'inquiétude et à la peur, de l'optimisme à la lassitude ; en évoquant des souvenirs liés à de bons moments vécus ensemble ; gênés, parfois, de leur propre souffrance alors qu'ils imaginaient son calvaire bien pire encore ; en espérant que la diplomatie française finirait par réussir à la faire revenir, au plus vite et «indemne»; en guettant la bonne nouvelle, à la radio, sur l'écran de leur télé et de leur GSM... Et, enfin, après 158 jours interminables, Florence et Hussein avaient été libérés par leurs ravisseurs. Ouf !  Yvette et Joseph allaient, comme auparavant, pouvoir accueillir leur amie chez eux, à Grand-Hallet.

Le retour
A son retour, Florence Aubenas avait stupéfié le monde par son sourire, son cran, sa lucidité et son humour, signes extérieurs de richesse intérieure d'une femme qui s'était battue avec courage et obstination pour résister physiquement aux conditions pénibles de détention, brimades, humiliations et coups, pour rester elle-même, digne et libre dans sa tête. Puis s'étaient succédées conférences de presse, interviews, réceptions officielles, où elle exprimait chaque fois sa reconnaissance pour ceux qui l'avaient aidée à sortir du trou, qui avaient eu le courage de l'attendre en la maintenant présente, vivante, souriante dans la mémoire des gens, grâce aux médias et aux initiatives nées spontanément un peu partout, notamment en Belgique.

Entre amis  
Ce week-end, Florence Aubenas était chez nous, le pays où elle est née et a vécu une partie de sa jeunesse. Après deux rendez-vous avec différentes autorités belges, elle pouvait enfin souffler et passer une journée tranquille avec des amis, chez Yvette et Joseph qui avaient organisé une fête en son honneur. 
A son arrivée, Florence et Jacqueline, sa maman, ne peuvent cacher leur émotion et leur joie de retrouver leurs hôtes du jour. Cela se fait d'autant plus naturellement que les autres invités, réservés, se montrent respectueux des deux femmes venues se détendre dans un superbe cadre champêtre et ombragé. Pas de ruée curieuse sur elles, pas de télévisions et de radios, juste quelques photos, prises de loin, pour l'album aux souvenirs. Et Florence de retrouver avec plaisir des connaissances qu'elles n'avaient plus vues depuis... depuis « avant ». Un apéritif rafraîchissant et un bon repas plus tard, le seul moment « officiel » de l'après-midi, se passe dans la bonne humeur : Hervé Jamar, Secrétaire d'Etat et Bourgmestre de Hannut, émerge brièvement de la grande famille des invités, dans laquelle il a eu le bon goût de se fondre jusque là, pour conférer à l'héroïne du jour le titre de « Citoyenne d'Honneur de Hannut », ce qu'il fait avec tact, humour et simplicité... Et Florence répond dans le même esprit, avec un sourire éclatant. 
 
Son sourire  
Ce sourire, chaleureux comme un soleil printanier mais dirait-on, parfois mystérieux comme celui de la Joconde, le monde entier le connaît par cœur, tant les médias l'on diffusé. Florence, elle aussi, semble connue et proche de tous ceux qui ont été touchés par son aventure iraquienne. Mais, qu'en est-il vraiment ? Derrière ce sourire, Florence Aubenas ne cache-t-elle pas, par pudeur, ce qu'elle a vécu, ses blessures d'hier, aujourd'hui en voie de cicatrisation, une partie d'elle-même qui reste son jardin secret, qu'elle veut protéger à tout prix ? Ce ne serait pas étonnant. Ses écrits, prises de position, engagements et combats le prouvent à suffisance, Florence est une femme de cœur. Mais, surtout, elle est, elle a un cœur de femme, à la sensibilité exacerbée par ses longues semaines d'emprisonnement, par les épreuves du peuple irakien, par la souffrance des autres otages toujours aux mains de leurs ravisseurs ; un cœur de femme sensible aussi aux témoignages de sympathie qui s'accumulent, au bonheur simple des petites choses et des petits gestes apparemment anodins mais si précieux quand on en est privé, comme quelques heures partagées avec des êtres chers, comme l'écoute des chansons d'un poète local qu'elle va embrasser, spontanément, en lui disant « Merci, c'était beau ! » 
 
La tranquillité  
Puis Florence s'en est allée, avec ses espaces de lumière et ses zones d'ombre ... Puisse-t-on, maintenant, tout en étant prêt à l'aider en cas de besoin, la laisser vraiment tranquille, lui donner le temps de se ressourcer, de retrouver ses repères, de pleurer, peut-être, pour se décharger d'un fardeau trop lourd à porter en soi, de reprendre son travail de journaliste, de choisir ses luttes... Mais aussi, lui offrir l'occasion de redécouvrir la sérénité, de profiter de la vie, de récupérer les kilos perdus en cours de route, de passer, comme à Grand-Hallet, des moments paisibles avec des amis... pour retrouver un sourire intérieur vraiment à l'image de celui qu'elle offre si généreusement à celles et ceux qu'elle rencontre. C'est tout ce qu'on lui souhaite, très sincèrement. Bonne route, Florence !
 

Bruno Heureux.
Grand-Hallet, le 26 juin 2005