Pousser le bouchon trop loin

    Savoir jusqu’où l’on dépasser les bornes est tout un art, alors que pousser le bouchon trop loin relève généralement de l’exagération sans nuance ou de la mauvaise fois ou de la malhonnêteté ou de la muflerie ou d’une vanité exacerbée… ou encore de ces tares cumulées.
 
Exagération sans nuance
    Agé de plus de quatre-vingts ans, il brise sa solitude de veuf grâce à sa petite auto, son seul « luxe », une occasion de petite cylindrée que sa femme et lui s’étaient offerte il y près de quinze ans et qu’il entretient avec un soin méticuleux. Sa voiture, sa liberté, il n’en n’abuse pas, le carburant est trop cher. Si bien que ce n’est qu’une fois ou deux fois par semaine, qu’il quitte son village pour faire quelques courses à Hannut. Vu son âge et ses difficultés à se déplacer, il évite les marches trop longues.
    Ce lundi-là, devant se rendre au CPAS pour une formalité administrative, il se gare à quelques pas de là, en partie sur le trottoir : jour de marché, les places de parking sont toutes occupées. Le temps de régler son affaire, 50 minutes s’écoulent. Puis, heureux d’avoir pu rencontrer et parler avec des gens plutôt qu’à ses quatre murs, notre villageois s’en retourne à sa solitude jusqu’à la semaine suivante.
    Stupeur ! Quelques jours plus tard, il reçoit un double PV salé : stationnement en un lieu interdit (100 €) et mise en danger de piétons (100 €). Notre petit vieux reconnaît ses torts mais, catastrophé, trouve les deux amendes démesurées et surtout exorbitantes pour sa modeste pension : en effet, presque 15%  de celle-ci !!! Effectivement, les verbalisants n’ont pas fait dans la dentelle : il faut que ça rapporte !    Lorsqu’on connaît l’endroit, il saute aux yeux que l’infraction, réelle, ne comportait pas le degré de dangerosité notée au PV et que, au final, les amendes cumulées sont tout à fait disproportionnées. Une application sans nuance de la loi rend celle-ci absurde, injuste. Sévir quand c’est nécessaire, oui ! Punir les contrevenants, oui ! Mais avec mesure, s’il vous plaît, car, dans le cas décrit, on a visiblement poussé trop loin le bouchon de l’absurdité.

Mauvaise foi
    L’autre matin, Jean-Claude Marcourt, Ministre de l'Economie et de l'Emploi de la Région Wallonne et son prédécesseur à ce poste, Serge Kubla, discutent de la réouverture d’un haut fourneau dans la région liégeoise. Le ministre en fonction se réjouit de la création de 10.000 emplois directs et indirects, pour une période minimale de cinq ans, dans une région où le taux de chômage reste important. Mais l’ancien ministre MR lui répond : « Vous amorcez une bombe à retardement social : le jour où ces emplois disparaîtront se posera un nouveau problème social ! » Par ses propos surréalistes Serge Kubla n’a-t-il pas poussé un peu trop loin le bouchon de la mauvaise foi, lui qui se serait pavané s’il avait pu créer lui-même ces emplois. Comment être dans l’opposition peut-il rendre aussi aveugle et obtus !!!
Malhonnêteté
    Je vous ai déjà dit tout le mal que je pense de la taxe sur le biocarburant qui nous est imposée à la pompe depuis plusieurs mois alors que ce produit n’existe pas encore ! Rappelez-vous aussi qu’une des dernières mesures « ambitieuses (!!!) » du gouvernement belge avant les dernières élections fédérales avait été de taxer les couverts en plastique : la défense de l’environnement et la limitation de l’utilisation des produits dérivés du pétrole, passent, inévitablement, par ce type de mesures « spectaculaires (!!!) » qui témoignent d’une « vision globale et à long terme (!!!) » du problème. Et pendant ce temps, nos grandes industries rachètent des quotas de CO2 auprès de pays pauvres qui n’ont pas d’industrie polluantes parce qu’ils n’ont pas d’industrie du tout. Nos gouvernants n’ont-ils pas poussé trop loin le bouchon de la malhonnêteté intellectuelle et de l’hypocrisie ? Je ne suis pas le seul à le penser !
Muflerie, goujaterie
    Leur premier bébé venait de décéder, les plongeant dans une immense peine. Quelle douleur dépasse celle de perdre son enfant ? Tandis qu’elle se remet d’un accouchement difficile, lui rentre chez eux pour régler l’organisation pratique des funérailles de leur petit. Tout à coup, s’impose au père, coureur cycliste professionnel, un contrôleur chargé de procéder à un prélevé d’urine chez sa victime du jour. Insensible aux circonstances particulièrement dramatiques, ce fonctionnaire exige que l’opération soit exécutée sur le champ ! La réglementation dans la lutte antidopage l’y oblige, dit-il.
    Hé oui, la loi, c’est la loi ! Mais quand, au travers de ceux qui sont chargés de l’appliquer, elle se fait goujate, ne pousse-t-elle pas trop loin le bouchon de la muflerie, ne devient-elle pas inhumaine, insensible, tyrannique, abusive, écoeurante au point de faire vomir ? Franchement oui !

Vanité
    La photo du nouveau gouvernement dans Le Soir de vendredi dernier est atypique ! Au centre, le Roi ? Non ! Le premier ministre ? Non ! Qui, alors ? Devinez ! Vous ne voyez pas ? Mais oui, Didier Reynders ! Tel un Sarkozy plus vrai que nature, il trône, majestueux (!!!), repoussant sur le côté ceux qui ne lui ont pas permis de réaliser son ambition de conquérir le 16 rue de la Loi. Notons que dans La Dernière Heure, la logique a été rétablie !
    Sur cette photo, ont retrouve également les deux Secrétaires d’Etat MR, aux missions floues, creuses, inconsistantes, limitées, et pourtant tout heureux d’être là, malgré une évidence : ils ne sont que les derniers cadeaux concédés par les cloches de Pâques à leur enfant gâté de président de parti.
    Ces trois personnages n’ont-ils pas poussé trop loin le bouchon de la vanité ? C’est évident ! Heureusement que le ridicule ne tue pas sans quoi on aurait eu droit à de triples funérailles.
Conclusion.
    Soumise aux caprices de ceux qui exercent le pouvoir, la loi du plus fort est souvent la loi du moindre effort. Pourquoi se poserait-elle des questions et mettrait-elle des gants quand, de son simple poids, elle peut mépriser, meurtrir, écraser, en toute légalité ? On a l’impression, parfois et, malheureusement, de plus en plus souvent, que les lois des hommes, destinées normalement à les protéger, ne respectent plus l’homme, oubliant que la lettre doit être soumise à l’esprit. Et qu’arrive-t-il, alors, quand l’esprit a disparu, quand le bon sens a fait place à la bêtise brutale ? C’est le temps des abus et des excès. Vous en doutez ? Relisez ce qui précède.

Bruno Heureux